Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Les Archives Ouvertes à l’épreuve des corrections et rétractations

Ce billet présente notre récent article paru dans Learned Publishing ; il soulève la question du rôle que peuvent revêtir les archives ouvertes pour contribuer à l’effort collectif de correction de la littérature scientifique. Il fait aussi écho à la thématique “Intégrité scientifique et archives ouvertes” de l’Assemblée 2023 des partenaires de HAL, à l’occasion de laquelle nous avons présenté une version très préliminaire de cette recherche.

 

Les Archives Ouvertes : une histoire d’ouverture avant tout

Les archives ouvertes n’ont pas été créées dans l’optique de garantir l’intégrité scientifique. Leur naissance dans les années 1990, avec des plateformes comme ArXiv pour les physiciens et RePEc pour les économistes, répondait à un besoin plus pragmatique : faciliter le partage des preprints entre chercheurs. Ces plateformes, placées sous l’égide d’institutions ou de communautés disciplinaires se sont imposées comme des outils essentiels du mouvement pour l’accès ouvert, offrant une alternative précieuse aux plateformes commerciales, souvent critiquées pour leurs dérives.

Cependant le mouvement de l’Open Access a toujours été à sens unique, orienté vers la dissémination du savoir et son archivage à long terme, sans anticiper l’éventualité de devoir faire “marche arrière”. Les AO sont restées (pour l’instant) dans l’angle mort des procédures de correction de la science, et plus largement des initiatives de promotion de l’intégrité scientifique. Les travaux de COAR sont ici très révélateurs : les recommandations techniques pour les AO de prochaine génération ne prévoient en effet rien pour les corrections.

 

Un constat préoccupant : l’invisibilité des corrections

Les revues scientifiques publient régulièrement des notices éditoriales signalant des problèmes dans leurs publications antérieures, qu’il s’agisse de corrigenda, d’errata, ou dans les cas plus graves, de rétractations.

Un problème majeur se pose aujourd’hui : comment gérer les corrections et rétractations d’articles ayant fait l’objet d’un dépôt ou d’un signalement dans une archive ouverte ?

Avant de réfléchir à d’éventuelles pistes d’amélioration, nous avons essayé d’évaluer l’ampleur du problème, en choisissant HAL comme cas d’étude. Nous avons pris comme point de départ la base Retraction Watch, dont les données ont été récemment ouvertes grâce à un partenariat avec Crossref (2023), et qui permet l’interrogation libre via un DOI.

Nous avons procédé en octobre 2023 à l’extraction de toutes les entrées de la base dont la date de publication du document corrigé ou rétracté allait de 2013 à 2023, soit 27 223 entrées dont 24 430 avec un DOI que nous utilisons (avec l’API d’Unpaywall) pour chercher une éventuelle indexation dans HAL. Nous identifions 141 documents dans HAL, avec ou sans texte intégral, et nous vérifions manuellement si à l’occasion de leur consultation sur la plateforme, le lecteur est alerté de leur correction ou rétractation.

Dans 91 % des cas, aucune mention n’était visible dans HAL. Et les rares signalements pour les rétractations, se font par exemple avec les mots retracted ou rétracté, insérés en début ou fin de titre. Cette procédure n’étant pas formalisée, d’autres stratégies co-existent dans la base telles que l’ajout d’un filigrane ou d’une mention sur la version archivée du document.

Évidemment, le problème n’est pas propre à HAL : dans une précédente étude consacrée au JACS (Journal of the American Chemical Society), sur 1 068 publications ayant fait l’objet d’une correction ou d’une rétractation, nous n’avions trouvé que 5 signalements dans des entrepôts qui en hébergeaient une version intégrale. On pourrait penser que la solution est simple mais il convient néanmoins de se demander si les archives ouvertes doivent vraiment signaler les corrections et rétractations de façon systématique.

 

Le défi complexe des corrections

Premier principe fondamental : la cause de la correction (fraude ou erreur honnête) ne doit pas influencer le mécanisme de correction lui-même. Les professionnels des AO n’ont pas à juger les manquements, en revanche ils devraient contribuer à assurer la transmission fidèle de l’information de correction ou de rétractation dans l’archive qu’ils administrent,

Cela étant dit, la question du signalement systématique ou non des corrections reste entière et sa complexité réside dans la nature même des archives ouvertes. Elles ne sont pas le miroir de ce qui a été publié officiellement : elles peuvent archiver une copie parfaite de la version officielle publiée (version of record) mais aussi une version “non-officielle” en provenance de l’auteur, soit celle avant acceptation par la revue (preprint), soit celle après acceptation (postprint). La raison qui a conduit à procéder à une correction ou une rétractation peut ne pas exister dans la version archivée. Le statut du document archivé n’est pas toujours très explicite dans les AO, alors que c’est une information importante pour l’utilisateur. C’est d’autant plus nécessaire que, quelle que soit la version archivée (preprint, postprint, version éditeur), c’est le même ensemble cœur de métadonnées descriptives qui est associé au dépôt. Et même si on sait qu’il y a peu de variations entre preprint et version publiée, il n’est pas envisageable pour un professionnel en charge de l’AO de comparer les documents (et d’endosser la responsabilité de procéder à l’ajout d’une mention de correction).

Comme le signalement des corrections n’est pas toujours réalisé de façon exemplaire par les éditeurs eux-mêmes, les AO peuvent pallier ces défaillances en archivant les notices éditoriales, en mettant à jour les notices associées aux publications via une métadonnée dédiée et en faisant un lien technique bidirectionnel et visible entre les deux. Pour les publications disposant d’un DOI, la mise à jour pourrait même être automatisée et facilitée par les données Retraction Watch/Crossref. Dans tous les cas, à l’instar du mécanisme recommandé aux éditeurs, en cas de rétractation, le fichier ne doit pas être supprimé.

 

Perspectives…

Avec un meilleur signalement des versions combiné à l’affichage explicite de l’information de correction/rétractation, l’intégrité de toute l’archive scientifique (scholarly record) peut être maintenue, et non seulement les archives ouvertes n’en auront pas dégradé la fiabilité par des signalements ambigus, mais au contraire elles l’auront renforcée. Enfin, elles resteront dans la droite ligne de leur lutte historique contre la suprématie des éditeurs, ces derniers faisant souvent preuve de réticences dans le signalement des corrections, surtout lorsqu’elles sont la conséquence de manquements à l’intégrité.


Note 1 : à titre exceptionnel et dans des cas extrêmement limités, il peut alors être nécessaire de procéder au retrait (removal) du fichier en ligne, s’il est clairement diffamatoire, viole la vie privée, fait l’objet d’une décision de justice ou peut présenter un risque grave pour la santé du public. Les AO qui détiennent une copie de la publication incriminée devraient alors aussi procéder à l’effacement du fichier de telle sorte qu’il ne soit plus du tout accessible, via aucune plateforme.

Note 2 : les AO n’hébergent pas que des articles, en France comme à l’étranger, la diffusion des thèses se fait souvent via l’archive ouverte du pays ou des établissements de soutenance. Le cas des thèses doit être traité différemment des autres types de publications dans la mesure où le document diffusé est associé à la délivrance d’un diplôme. C’est donc en lien avec l’organisme de délivrance que le signalement devrait être établi et que le manuscrit pourrait faire l’objet d’un retrait pur et simple.

 

[Image en une : Image par Markus Winkler]


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Frédérique Bordignon (9 février 2025). Les Archives Ouvertes à l’épreuve des corrections et rétractations. Carnet'IST. Consulté le 25 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13abr


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.